Faut-il endiguer l’effondrement du mur pro/perso ?

Duc Ha Duong
5 min readNov 21, 2022

3ème semaine. Le contributeur de la semaine à notre petite tempête de cerveau sur un nouveau genre de réseau social n’est autre que qui vous savez :

Il ne précise pas comment il va repérer les tweets négatifs et haineux mais il semble bien confiant que cela soit possible, et admettre l’existence d’un intérêt économique à faire foisonner ce type de contenu, ce qui corrobore mes propos du premier article sur le dysfonctionnement.

Cela donne confiance qu’on peut le faire à condition 1. de le vouloir 2. trouver un modèle économique non publicitaire, sortir du métier de la vente de “temps de cerveau disponible” chère à M. Le Lay.

Nous avons évoqué dans l’article précédent la possibilité d’utiliser les premiers cercles pour filtrer les contenus avant qu’ils n’arrivent à leur auteur. Il y a aussi, bien sûr, tout le potentiel de l’analyse sémantique du langage naturel qui peut rendre ce genre de service. Sans doute d’autres idées futées vont apparaitre (laissez-les nous en commentaire !), je ne suis pas très inquiet.

Media social vs réseau social

Pour ce qui est de sortir de l’économie de l’attention, la bonne nouvelle est que nous ne cherchons pas à faire un media. Avec le temps, les expressions “média social” et “réseau social” ont fini par se confondre, pour la grande statisfaction des opérateurs de plateforme qui ont longtemps su masquer l’importance de la publicité dans leurs affaires. Tant qu’elle se faisait discrète, tout allait bien. En 2022, avec le niveau d’intensité de matraquage que nous avons atteint, je pense que tout le monde s’est bien rendu compte que Facebook est une plateforme publicitaire ;-)

Et s’il fallait finir de vous convaincre que Facebook privilégie sa fonction média à sa fonction réseau, jetez donc un oeil à la dernière évolution de l’interface de son application. Vous avez maintenant un onglet “Home”, celui où l’on arrive par défaut, et où Facebook propose une “curation algorithmique pour explorer des contenus nouveaux”, et si vous voulez des nouvelles de vos amis, il faudra aller à l’onglet “Feeds”. Le média est séparé du réseau, et mis en avant. CQFD.

Super pour Meta : avec la permission des utilisateurs de leur laisser leurs amis de coté (littéralement) pour consommer plus de contenu, plus frais, plus souvent, la plateforme va pouvoir vendre plus de pub.

Super pour nous : laissons le media social à Meta, nous choisissons d’oeuvrer pour un réseau social.

Et donc, vers quel autre modèle d’affaire pourrions nous nous tourner ?

Nous savons déjà que n’étant pas un média, nous allons avoir une plus petite audience. Tout le monde est susceptible de vouloir s’informer, mais seuls celles et ceux qui ont des projets, des aspirations, ou a minima une envie de s’impliquer dans le projet de quelqu’un d’autre, seront intéressés par un réseau d’entraide. Même les esprits les plus idéalistes de la théorie Y, qui croient que nos avons tous une motivation intrinsèque et des causes pour lesquelles nos souhaitons nos engager, admettront que les conditions ne sont pas toujours réunies à tout moment pour que l’on s’engage effectivement.

On ne vise pas le milliard d’utilisateurs, et on se consolera en pensant à une fameuse citation de Margaret Mead.

Ceci dit, d’un point de vue économique, l’implication est évidente : avec moins d’utilisateurs, il faut pouvoir extraire plus de valeur par utilisateur, et donc en créer encore plus afin qu’il accepte de jouer le jeu.

Sur cet aspect, on est a priori plutôt bien parti, si la plateforme m’aide à avancer sur mes défis c’est certainement quelquechose qui a plus de valeur que m’annoncer les malheurs du monde.

Sauf que c’est sticky, les mauvaises nouvelles. Et il y en a plein.

Je n’ai pas des nouveaux problèmes à résoudre tous les jours, ou toutes les heures. Or, si la densité des interactions tombe en dessous d’un seuil minimum, je vais oublier la plateforme, et passer à autre chose.

Je propose une solution assez radicale pour répondre à ce défi : mixer sujets pro et perso. Une seule plateforme, une seule identité. Il n’a échappé à personne que le mur était en train de s’effondrer, alors prenons les devants ! Bien sûr il faudra une certaine étanchéité quand même sur les projets, à l’image du concept des sphères dans Whaller, que j’aime bien.

Donc tout dans le même onglet Chrome, avec un petit bouton qui me permet d’alterner entre le mode public, ouvert sur le monde, à la sérendipité, aux liens faibles et aux samaritains inattendus, et un mode restreint à ma tribu fermée (souvent appellée “ma boite” au XXème siècle / début XXIème), qui garantisse notamment les engagement de confidentialité auxquels je suis engagé vis à vis d’autres parties prenantes (“les clients”). Je peux basculer en un clic, et le changement de contexte devra se refléter de manière très claire et avec quelques garde-fous dans l’interface pour éviter les boulettes.

Cette approche, en plus de nos permettre de nous sortir de cette vie de masques, cette schizophrénie pro/perso, devrait pouvoir intensifier suffisemment l’usage de la plateforme pour que l’on garde l’onglet toujours ouvert.

Je résume :

  • Pour assurer la bienveillance, nous abandonnons le modèle publicitaire
  • Nous voulons donc construire un réseau, et non un media social
  • Nous cherchons un modèle d’affaire avec moins d’utilisateurs et plus de valeur par utilisateur
  • Pour maximiser les possibilités d’entraide par utilisateur, il nous faut cumuler ses enjeux pro et perso sur la plateforme.

J’ai conscience que c’est un peu osé de piétiner ainsi allégrement la frontière entre vie professionelle et vie personelle. Pensez-vous que l’heure est vraiment venue, qu’il faille accompagner ce mouvement plutôt que tenter de le freiner, l’inverser ? Que des patrons vont vouloir acheter ça ? Que des salariés vont vouloir utiliser ça ? J’ai hâte de lire vos avis, je vous en rendrai compte la semaine prochaine !

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Duc Ha Duong

Entrepreneur, father, barbarian, dreamer, prospectivist, teal evangelist, optimistic, french-vietnamese, parisian, feminist, caretaker. Blind to legal fictions.