Des barbares aux éco-workeurs

Duc Ha Duong
5 min readDec 26, 2022

HORS SERIE : en cette période de transition, c’est le moment de prendre un peu de recul sur les années passées avant de s’engager fermement sur un nouveau projet qui va prendre sans doutes des années à prendre forme.

C’est au premier trimestre de 2014 que naît, sous l’impulsion involontaire du classement de Choiseul, un groupe Facebook qui rassemble des hommes et des femmes qui pensent que l’humanité est à un point de bascule, que le monde qui vient suit de nouvelles règles qu’il nous reste à découvrir. Les 100barbares sont là.

Quelques mois plus tard je découvre sur la recommandation d’Isabelle Delannoy (louée soit-elle d’avoir insisté !) “Reinventing Organizations”, un livre qui va transformer ma manière de voir le monde, et en particulier les écosystèmes humains : entreprises, associations, collectifs, groupes en ligne, communautés, etc.

Nous décidons très rapidement d’adopter les principes opales décrits dans ce livre au sein d‘Officience, ce qui n’est évidemment pas tout à fait aisé dans une structure qui a déjà 8 ans, et 300 salariés… Au même moment, le groupe des 100 Barbares est tout jeune, encore vierge … c’est décidé, je vais engager mon énergie pour mettre en oeuvre les principes opales dans ce groupe, on va voir si ça marche.

Nous commençons à tâtons, et grâce au talent de nombreux barbares particulièrement engagés, une vague se forme, des milliers de personnes rejoignent le groupe Facebook, et naissent même différents mouvements plus spécifiques : les barbares salariés (les corporate hackers clandestins, les hacktivateurs intrapreneurs, les corsaires entre les deux …), les barbares médecins (hippocrate), les féministes (WHAT — Women Hacker Action Tank), les green barbares, les barbares publics … Chacun prend la permission, fait écosystème avec les humains qui résonnent avec cette perspective.

Et puis l’idée de cette bascule que nous vivons se banalise. Les plus grands groupes du CAC ont des “Transition Officers”, sans personne ne demande “mais quelle transition ?”. Mission accomplie, la barbattitude est devenue mainstream. Et je n’ai plus de terrain de jeu pour faire avancer les principes opales.

C’est là que Nina Bufi m’invite à avancer au grand jour : pratiquer l’opale dans un mouvement dont le but est de faire avancer l’opale. Direct.

Ca s’appelera le mouvement Open Opale, et ça commencera avec des ateliers d’entraide type codev appelé Places Of Open Heart, et une série de 50 vidéos youtube sur une chaîne du même nom. Avec des POOH organisés tous les 15 jours, une excellente manière de découvrir le mouvement.

Plutôt que de constituer un nouveau groupe qui ferait double emploi, nous rebaptisons le groupe Facebook existant “Reinventing Organizations francophone” en “Open Opale, réinventons les organisations !”, avec l’espoir de faire émerger une belle tribu qui puisse déployer les principes opales urbi et orbi.

Demi échec. Coté groupe Facebook, il nous faut nous rendre à l’évidence : si “Reinventing Organizations” a chamboulé nos vies, ce n’est pas le cas pour la grande majorité des personnes qui ont lu le livre, même si elles l’ont suffisamment apprécié pour rejoindre le groupe Facebook idoine. Sans parler des centaines de personnes qui ne l’ont pas lu mais avaient juste assez aimé l’idée portée par le titre pour cliquer “rejoindre le groupe”. Poussés, ne l’oublions pas, par des algorithmes étudiés pour maximiser l’engagement utilisateur.

Succès tout de même : un groupe coeur assez solide émerge, les principes opales s’épanouissent, nous sommes sollicités pour partager notre expérience. Par des patrons de PME d’abord, puis des grands groupes arrivent. Une structure juridique émerge, ce sera une association à but non lucratif.

Nous peinons tout de même à toucher un large public. “Open Opale” reste un nom un peu pointu pour qui n’a pas lu Laloux. Il crée un clivage, promeut une vision binaire du monde entre les organisations soi-disant “opales” et les organisations “classiques”. Nous avons tous besoin de simplicité et nos cerveaux adorent ranger les choses dans des cases…

L’opportunité d’une nouvelle approche se présente alors. Elle s’appuie sur l’idée simple que les principes opales sont inspirés du vivant, et que la pratique consistant à bâtir des systèmes inspirés du vivant s’appelle permaculture. On se trouve donc à évoquer le perma-travail, le travail biomimétique … et plus faire plus simple, plus branché : l’éco-working. Non pas éco au sans économique, ni écologique au sens qu’on trie nos poubelles, mais bien “éco” au sens de l’écologie du travail.

Se lance donc un nouveau mouvement, les éco-workers. Pour rencontrer cette nouvelle communauté, nous organisons un festival, nommé de manière un peu provocative “Nous n’irons plus travailler…”, invitant les participants à terminer la phrase par les attentes qu’ils posent sur le travail de demain. Bien entendu il importe que le festival lui-même soit auto-organisé selon des principes inspirés du vivant, de la manière la plus transparente possible, en respectant les besoins et les envies de chacun. Même la comptabilité du festival est publique et les dépenses, comme toutes les autres décisions, se font par partage d’intention.

Peu après le festival, une occasion de pérenniser la communauté se présente avec un lieu physique, un premier espace où l’on peut tester le travail le moins aliéné possible. Techniquement, c’est un tiers lieu (un espace interstitiel entre les vies pro et perso, mais c’est le sujet d’un prochain article…), où, afin de respecter les souverainetés individuelles de chacun, on est libre de l’utiliser et d’y contribuer comme bon nous semble, sans contrat écrit, mais porté par les dynamiques sociales qui émergent de nos interactions, que l’on essaie le plus sincères possibles. Petit à petit des rituels s’ancrent en tradition et ces premiers repères créent un cadre réconfortant qui permet l’émergence de projets de plus en plus hardis.

Illustration Officience Creative Tribe

Cet éco-working en place, on se rend compte que ce n’est pas le premier (je pense à un lieu comme El Capitan, dans l’Orne, qui cherche également son équilibre en participation consciente), et on espère bien inspirer de nombreux autres espaces pour tisser une nouvelle toile dans notre société.

Avoir ouvert un lieu, voilà donc où nous en sommes rendus ! Et ce n’est pas sans me rappeler, à une autre époque, l’ouverture du premier bio-hackerspace parisien, La Paillasse, qui était prévu pour être le premier noeud d’une nouvelle toile reliant de nombreux espaces de recherche citoyenne et ouverte à travers le monde. Le destin en aura décidé autrement, La Paillasse a fermé, son maintien opérationnel coûtait trop d’énergie, et un projet entièrement en ligne poursuit le même rêve : jogl.io.

Notre petit éco-working est bien moins énergivore à faire durer, étant 7 fois plus petit que feu La Paillasse, et après ces quelques mois l’heure est venue de relever la tête du guidon, et commencer à se demander à quoi pourrait ressembler à la prochaine étape :

  • Aller à la rencontre des autres éco-workings existants pour faire réseau ?
  • Lever des fonds pour ouvrir plus d’espaces d’éco-working dans la ville ?
  • Oeuvrer à la convergence des communautés Open Opale (opale explicite) et Eco-workers (opale implicite) ?
  • S’atteler à la mise au point d’une plateforme numérique qui soutienne le développement des communautés de travailleurs inspirés ?

Quel serait, selon vous, l‘approche la plus efficace ? J’ai de l’énergie, je suis à l’écoute !

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Duc Ha Duong

Entrepreneur, father, barbarian, dreamer, prospectivist, teal evangelist, optimistic, french-vietnamese, parisian, feminist, caretaker. Blind to legal fictions.